Générativité, une vision darwiniste du web ?

Ce n'est pas la première fois qu'un des billets de Tristan NITOT, sur le Standblog, traite de générativité[1]. Dans le dernier en date, où elle est rebaptisée[2] bidouillabilité, l'un des commentaires débute ainsi : "c'est bon pour l'évolution".

En le lisant, j'ai pris ce mot au sens que lui donne Darwin dans l'ouvrage qui fonda sa théorie de l'évolution des espèces. Et le parallèle m'a semblé assez frappant pour que je le livre ici.

La bidouillabilité d'une application est sa capacité à être transformée par ses utilisateurs, détournée de sa finalité première, assemblée à d'autres. Avec une quantité suffisante de temps et de bidouilleurs, on abouti à une profusion hasardeuse de résultats différents qui sont autant de réponses à des questions qui n'étaient même pas posées au départ. La variété ainsi engendrée, diffusée et partagée largement comme seul Internet le permet (encore) et confrontée à la réalité d'autres utilisateurs, subi de lourdes pertes pour ne sélectionner que les idées et les solutions qui, si elles sont aussi "bidouillables" que leurs génitrices[3], participeront au prochain bond en avant, et ainsi de suite.

Je ne m'étends pas davantage, la ressemblance avec la sélection naturelle est claire. C'est la survie du plus apte pour chaque environnement, saine méritocratie présente dans de nombreux domaines du Web.

Mais Darwin a de farouches opposants, les Créationnistes. Le tableau de la générativité entre en conflit avec cette sorte d'Intelligent Design que représente un logiciel fermé et propriétaire.

En effet, ce dernier procède bien d'un Dessein Intelligent, même si cette intelligence est généralement mercantile. Tel un organisme génétiquement modifié, il est stérilisé pour ne pas pouvoir être réutilisé, et protégé par des brevets destinés à lui conserver sa valeur par l'organisation de sa rareté. Ses mutations ne laissent place à aucun hasard; au contraire, chacune des créations obtenue participe à grand plan (marketing ?) qui prévoit le rythme des versions comme autant d'appel de fonds, déjà budgétés et promis aux actionnaires.

Ces produits n'héritent que de la seule créativité de leurs auteurs qui, concurrence et réalisme économique oblige, font rarement preuve d'audace, préférant distiller lentement chaque variation pour se donner le temps d'en tirer le maximum de bénéfice. Le résultat ? Toutes les tomates font le même diamètre, toutes les voitures se ressemblent (pour un segment de marché donné), tous les téléphones portable sont devenus tactiles, et bientôt multi-touch. Lorsqu'elle ne se fait que contre un nombre limité d'adversaires, la lutte pour la survie se transforme en uniformisation.

J'ai choisi mon camp, je suis farouchement évolutionniste. Et vous, vos logiciels, vous les préférez comment ? Naturellement sélectionnés et bidouillables ou OGM et cadenassés ? C'est comme pour votre nourriture; pensez à votre santé à long terme !

Notes

[1] Ce néologisme est la traduction de l'anglais "hackability" dont Tristan donne une bonne définition dans ce billet.

[2] L'adoption pérenne d'un néologisme est en soi un bon exemple de bidouillabilité de la langue, plusieurs vocable apparaissent pour recouvrir une chose, un concept, une idée; la sélection fait le reste, un seul subsiste (et c'est rarement celui qui est choisi par l'Académie Française).

[3] On peut voir ici l'importance des licences virales comme la GPL qui permettent de s'assurer qu'une bonne mutation ou un bon gène ne finisse pas dans un enclos ou un tube à essai d'un laboratoire privé